Qui était Henri Langlois ?

“Je suis né le 13 novembre 1914 à Smyrne. Mes parents étaient des Français de l’étranger, ce qui m’a permis d’être en retard d’un siècle”. Henri Langlois est né à Smyrne (Turquie) d’Annie Braggiotti et Gustave Langlois, journaliste et fondateur de l’Agence nationale française. En 1920 nait son frère Georges-Patrick, qui deviendra avocat.

En septembre 1922, dans les derniers mois de la guerre d’indépendance turque, Smyrne est incendiée et la famille doit fuir la ville. Rapatriés en France, ils s’installent à Paris, dans le 9e arrondissement. Le jeune Henri se passionne très tôt pour le cinéma, et collectionne tout ce qui a trait au 7e art. Il étudie au lycée Condorcet, mais préfère aller au cinéma le jour de son baccalauréat, et proteste ainsi contre la volonté de son père de l’inscrire en faculté de droit. Employé chez un imprimeur, il rencontre Georges Franju, ardent cinéphile, qui deviendra par la suite un grand cinéaste français. Tous deux partagent le même goût pour les films muets, et ils réalisent en 1934 leur premier film de 16 mm, Le Métro, d’une durée de 8 minutes.

En 1935, encouragés par Jean Mitry, journaliste et secrétaire de la Fédération des ciné-clubs, ils fondent le Cercle du cinéma, un ciné-club dédié au cinéma muet. “Il s'agit avant tout de montrer des films et non de discuter après. Les débats ne servent à rien” écrit Henri Langlois. Ils sont soutenus financièrement dans leur démarche par Paul-Auguste Harlé, directeur de la revue La Cinématographie Française, dans laquelle Langlois publie des articles. Malgré son jeune âge, il s’impose déjà comme un formidable spécialiste du cinéma et un talentueux programmateur. Grâce
aux recettes du ciné-club et le crédit accordé par Harlé, Franju et Langlois commencent à constituer une collection de films.

En 1936, ils fondent la Cinémathèque Française. Elle est pensée comme une salle et un musée du cinéma. Harlé en est le premier président, Franju et Langlois les secrétaires généraux, et Mitry l’archiviste. Davantage encore que la collection et la projection de films, notamment à l’attention des jeunes générations, il s’agit aussi de sauver et restaurer ceux qui sont menacés de désintégration par la fragilité des pellicules en celluloïd. En 1970, le fond de la Cinémathèque comptera des dizaines de milliers de films, ainsi qu’une large collection de caméras, affiches, publications, costumes et décors.

C’est en 1939 qu’Henri Langlois fait la connaissance de Mary Meerson, veuve de Lazare Meerson, décorateur de cinéma. Elle deviendra sa compagne et ils contribueront ensemble à l’aventure de la Cinémathèque, et en traverseront les turbulences.

Pendant la Seconde Guerre mondiale, Langlois continue à projeter des films à la Cinémathèque, et contribue avec ses fidèles collaborateurs, dont Lotte H. Eisner, journaliste et historienne du cinéma allemand et Marie Epstein chargée de l’inventaire et de la sauvegarde des films, à sauver un grand nombre de films contre l’occupation nazie. En 1945, la photographe Denise Bellon réalise un reportage sur la Cinémathèque et immortalise Henri Langlois dans la rue poussant un landau rempli de bobines, ainsi que la célèbre baignoire pleine à ras bord de boîtes de films.

De 1945 à 1977 (année de sa mort), de l’avenue de Messine au Palais de Chaillot en passant par la rue d’Ulm, la rue de Courcelles et le musée d’Art moderne, Langlois programmateur organise de grandes rétrospectives, des expositions (en 1955 : “300 années de cinématographie — 60 ans de cinéma” ). Collectionneur acharné, il fait entrer à la Cinémathèque des films, des documents, des éléments de décors, de costumes, des œuvres d’art et des collections prestigieuses (notamment la collection Will Day).

André Malraux, alors ministre des Affaires culturelles, qui accuse Henri Langlois de délaisser l’administration de la Cinémathèque et exige des changements de gestion, le démet de ses fonctions de directeur le 9 février 1968. Des grands noms du cinéma français, Truffaut, Godard, Chabrol…, les Cahiers du Cinéma, de nombreux cinéastes internationaux comme Kubrick ou Chaplin, se mobilisent immédiatement pour le défendre. C’est l’affaire Langlois, perçu par certains historiens comme le point de départ des événements de mai 68. Le gouvernement n’aura pas d’autre choix que de réintégrer Langlois, le 22 avril, à la tête de la Cinémathèque.

L’Etat supprime cependant toute subvention à la Cinémathèque et, en septembre 1968, Langlois accepte la proposition de Serge Losique de donner des cours, tous les quinze jours, pendant trois ans, à l’université sir George Williams de Montréal. Il donnera également des cours à la faculté de Nanterre.

Le 14 juin 1972, au Palais de Chaillot, sous la forme d’une exposition intitulée “Trois quarts de siècle de cinéma mondial”, Langlois inaugure son musée du Cinéma. Il déploie une partie de ses collections accumulées en un parcours alternant photos, peintures, maquettes, costumes, projections et reconstitutions de décors. Cette
exposition devient alors un musée permanent. (voir l’onglet “Musée du Cinéma Henri Langlois”).

Deux ans plus tard, il reçoit un Oscar d’honneur pour l’ensemble de sa carrière, puis un César. Dans la nuit du 12 au 13 janvier 1977, alors qu’il travaille, épuisé et malade, Il meurt d’une crise cardiaque. Quelques semaines plus tôt, il avait lancé le Festival international de Tours, qui se tiendra le 21 janvier et sera baptisé en son honneur Rencontres internationales Henri Langlois. Depuis 1990, le festival se tient à Poitiers et constitue toujours un lieu d’échange privilégié entre les jeunes réalisateurs, les professionnels et le public, poursuivant le projet de transmission et de découverte de son fondateur.

Le travail de Langlois et de la Cinémathèque ont eu, et continuent d’avoir, un grand impact sur le cinéma français : certains réalisateurs de la Nouvelle Vague des années 60 vont jusqu’à se surnommer eux-mêmes “les enfants de la Cinémathèque”. L’interview de Langlois par Mardore et Rohmer, publiée en 1962 dans les Cahiers du Cinéma, et dans laquelle il expose ses idées sur la conservation-restauration et sa philosophie, fait date.

En 2014, à l’occasion du centenaire de sa naissance, la Cinémathèque Française rend hommage à son fondateur.

En 2022, le Festival Henri Langlois est crée, pour perpétuer la mémoire et les principes de programmation de cet amoureux fou du cinéma. 

Crédit photo : Auteur inconnu.